52Histoire de la tour Eiffel (de la conception à la construction)

Le projet d’une tour de trois cents mètres

Le contexte

L’émergence de l’industrie métallurgique permet d’allier la technique à l’art

La façade originale du Crystal Palace en 1851 (situé à Hyde Park, Londres), construit pour l'Exposition universelle qui se tenait cette année-là en Angleterre.

Agrandir

La façade originale du Crystal Palace en 1851 (situé à Hyde Park, Londres), construit pour l'Exposition universelle qui se tenait cette année-là en Angleterre.

La première moitié du XIXe siècle est caractérisée par la révolution industrielle qui, pour beaucoup, doit à l’essor de la métallurgie. La révolution industrielle engendre un bouleversement économique, certes, mais sans doute est-elle avant tout une révolution des matériaux. Dans un premier temps, les ouvrages réalisés en métal le seront surtout avec une visée purement d’ordre pratique (des ponts notamment), mais dès que les techniques seront maîtrisées, les ingénieurs se transformeront en architectes, voire en artistes.

En 1779, le premier pont en fonte est construit à Coalbrookdale dans le Shropshire. Ce type de pont se développe ensuite dans toute l’Angleterre, et ce n’est qu’en 1803 que l’on en retrouvera une inspiration identique en France, lorsque est jeté sur la Seine, le pont des Arts, face à l’Académie des Sciences.

Détail de l'architecture de la coupole des Galeries Lafayette situées Boulevard Haussmann à Paris.

Agrandir

Détail de l'architecture de la coupole des Galeries Lafayette situées Boulevard Haussmann à Paris.

A partir de 1845, le fer laminé remplace petit à petit la fonte grâce à ses nombreux atouts supplémentaires : plasticité, incombustibilité et résistance. Mais avant toutes choses, le fer laminé s’avère plus économique à produire que la fonte. Ce sont d’abord des ponts qui seront construits avec ce nouveau matériau, notamment du fait de l’extension rapide du réseau ferré, avant que la méthode ne soit appliquée à d’autres types de bâtiments. En Angleterre, le premier exemple marquant est le Crystal Palace, construit pour l’Exposition universelle de 1851. En France, et uniquement en considérant le domaine architectural, le fer sera ouvertement montré pour les premières fois : en 1848 avec la structure de la bibliothèque Sainte-Geneviève construite par Henri Labrouste, puis de manière encore plus démonstrative avec les Halles de Paris édifiées en 1853 par Victor Baltard et Félix Callet. Suite à cela, dans un contexte d’industrialisation rapide, de nombreux autres bâtiments seront construits de cette manière : gares, marchés, usines, grands magasins, verrières, pavillons d’exposition, kiosques...

Vue de la charpente métallique de la gare du Nord, à Paris.

Agrandir

Vue de la charpente métallique de la gare du Nord, à Paris.

L’architecture du fer séduit les ingénieurs pour la robustesse naturelle du matériau, mais aussi parce qu’il insuffle une certaine légèreté aux constructions et autorise la création de bâtiments plus aériens, plus modernes, plus résistants, plus esthétiques. Les ingénieurs peuvent enfin faire preuve d’audace architecturale et libérer leurs envies artistiques.

A partir des années 1870, les spécificités du fer et son comportement sont mieux connus, ce qui en permet une utilisation courante dans les ouvrages d’art et les bâtiments publics. Le fer permet de construire des ensembles spacieux et fonctionnels. Il est utilisé dans la plupart des grands projets de l’époque (à Paris, par exemple, on le retrouvera utilisé pour les Galeries Lafayette, situées Boulevard Haussmann, ou encore la gare du Nord).

Le fer devient alors la source de houleux débats entre ingénieurs et architectes, la place de chacun n’étant plus aussi clairement définie qu’auparavant. Gustave Eiffel sera de ceux qui ont su allier les métiers d’ingénieur avec celui d’architecte, en tirant profit des atouts nouveaux proférés par le fer.

La réputation de l'ingénieur Gustave Eiffel et de ses équipes

Gustave EiffelIngénieur-Architecte-EntrepreneurNé le 15 décembre 1832 à DijonMort le 27 décembre 1923 à Paris.

Agrandir

Gustave Eiffel
Ingénieur-Architecte-Entrepreneur
Né le 15 décembre 1832 à Dijon
Mort le 27 décembre 1923 à Paris.

Né à Dijon en 1932, Gustave Eiffel sort treizième de la promotion 1855 de l’École centrale des arts et manufactures qu’il avait intégrée quelques temps plus tôt. Sous l’influence de son oncle Jean-Baptiste Mollerat, il choisit d’y suivre les cours de la spécialité «chimie», mais victime de brouilles familiales, il ne reprendra jamais l’exploitation prospère de houille de celui-ci.

Une fois son diplôme obtenu, c’est aux établissements parisiens Nepveu qu’il débutera sa carrière professionnelle . L’ingénieur apprend vite, et dès 1858, il se voit confier la responsabilité d’un chantier important, celui de la direction des travaux du pont de Bordeaux. Se finissant par un succès, cette aventure lui donne l’envie de se mettre à son propre compte, ce qu’il fera effectivement en 1867.

Il installe alors ses ateliers à Levallois-Perret, en banlieue parisienne. Les réalisations des établissements Eiffel seront diverses et variées : des viaducs (Garabit en 1884 ou sur le Douro, au Portugal en 1877), des ponts, des charpentes ou structures métalliques (comme la coupole de l’observatoire de Nice en 1884 ou la structure interne de la statue de la liberté en 1886), voire des bâtiments entiers, comme la gare de Pest, en Hongrie, en 1875.

Au début des années 1880, les entreprises Eiffel sont placées au cinquième ou sixième rang des constructeurs français, grâce à leurs capacités d'organisation, d'invention dans les procédés de montage et grâce à leurs précisions dans la fabrication et l'assemblage des pièces.

En 1884, lorsque le projet d’une tour de trois cents mètres sera évoqué pour la première fois, la réputation de Gustave Eiffel est donc déjà bien établie et elle est de dimension nationale, voire internationale. Bien qu’âgé de 52 ans à cette époque, après avoir été dubitatif, c’est finalement avec une excitation de jeune homme qu’il s’emparera du projet et le défendra envers et contre tous. Même si elle n’est pas née de son imagination, il lui donnera son nom et surtout la défendra jusqu’à ses derniers jours, même une fois qu’il se sera retiré des affaires, en 1893. C’est que l’entrepreneur avait bien senti qu’il avait affaire là à l’œuvre de sa vie et qu’elle serait marquante.

Structure métallique interne de la statue de la liberté.

Agrandir

Structure métallique interne de la statue de la liberté.

La coupole de l'Observatoire de Nice.

Agrandir

La coupole de l'Observatoire de Nice.

Repères :
Principales réalisations
des entreprises Eiffel

 

(Reconstitution d'après l'affiche publicitaire d'origine)

 

Constructeur

 

1867: Passerelle dans le parc des Buttes-Chaumont

 

1868: Viaduc de Neuvial

 

1869: Viaduc de Rouzat

 

1875: Gare de l'Ouest à Pest (Hongrie)

 

1877: Passerelle à Girona

 

1884: Viaduc de Garabit

 

1889: Tour Eiffel

 

1891: Buu Dien

 

1894: Passerelle de Bry

 

1894: Viaduc de Venaco-Vivario

 

Directeur des travaux

 

1860: Pont saint-Jean

 

Ingénieur

 

1867: Synagogue Rue des Tournelles

 

Concepteur

 

1877: Pont Maria Pia (Portugal)

 

1884: Viaduc de Garabit

 

1886: Structure interne de la Statue de la liberté (États-Unis)

 


L'importance des Expositions universelles, catalyseurs des avancées techniques

En 1756, se tient à Londres, la toute première exposition d’ampleur internationale. Les expositions universelles, à thème général ou plus spécialisé vont ensuite se tenir à un rythme soutenu dans les pays les plus industrialisés de la planète. Elles serviront avant tout de vitrine, le but étant de démontrer au monde entier son savoir-faire industriel ou artistique. Pour ce faire, les pays organisateurs vont tendre vers la surenchère et exalter leurs vertus nationales.

En 1851, l’Exposition de Londres se montera autour de l’immense Crystal Palace, bâtiment spacieux mêlant le fer et le verre, censé démontré par ses proportions, sa rapidité de montage et son architecture, le triomphe des méthodes modernes d’industrialisation et de préfabrication des bâtiments, mais aussi et avant tout, la suprématie économique de la Grande-Bretagne au milieu du XIXe siècle.

Le palais de l'industrie construit par Alexis Barrault pour l'Exposition universelle de 1855.

Agrandir

Le palais de l'industrie construit par Alexis Barrault pour l'Exposition universelle de 1855.

Dans la même lignée, les galeries où sont exposées les « machines », seront plus d’une fois le clou d’Expositions universelles.

En 1855, à Paris, l’ingénieur Alexis Barrault répond au défi britannique du Crystal Palace en réalisant le Palais de l’Industrie, doté d’une structure en fonte et d’une couverture vitrée de vastes dimensions.

En 1867, l’Exposition se tient pour la première fois sur le Champ-de-Mars, et célèbre l’apogée du Second Empire.

L’Exposition de 1878, avec la grande nef de la galerie des machines, marque le relèvement de la France après la défaite de 1870.

En 1875, le vote de l’amendement Wallon instaure un régime démocratique, mais particulièrement instable au niveau politique. L’époque voit apparaître de grandes figures politiques, Jules Grévy, Léon Gambetta ou encore Jules Ferry, mais les ministères opportunistes ne cessent de se succéder, sans réelle continuité d’action.

Au début des années 1880, l’idée de la tenue d’une nouvelle Exposition universelle en France a pour but de relancer l’économie en réalisant de grands travaux, de fédérer les citoyens autour d’un consensus politique, de faire rayonner l’image de la France à l’étranger, en lui redonnant son rang parmi les grandes puissances et au final, consacrer la Troisième République naissante.

Exposition Universelle à Hyde Park, à Londres, en 1851 (vue du Crystal palace).

Agrandir

Exposition Universelle à Hyde Park, à Londres, en 1851 (vue du Crystal palace).

Affiche de l'Exposition Coloniale de Marseille en 1906.

Agrandir

Affiche de l'Exposition Coloniale de Marseille en 1906.

Repères :
Expositions universelles organisés en France

 

(Logotype du Bureau International des Expositions)

 

Expositions Universelles :

 

1798 : Paris

 

1802 : Paris

 

1844 : Paris

 

1855 : Paris

 

1860 : Besançon

 

1867 : Paris

 

1878 : Paris

 

1889 : Paris (1ère présentation de la tour Eiffel au public
1 953 122 entrées à la
tour Eiffel en 173 jours d’Exposition)

 

1900 : Paris 1 024 897 entrées à la tour Eiffel en 212 jours d'Exposition

 

Expositions Spéciales (Expositions thématiques) :

 

1861 : Metz (Exposition Universelle de l'Agriculture, de l'Industrie, de l'Horticulture et des Beaux-Arts)

 

1868 : Le Havre (Exposition Maritime Internationale)

 

1872 : Lyon (Exposition Universelle et Internationale)

 

1882 : Bordeaux (Exposition Internationale des Vins)

 

1894 : Lyon (Exposition Internationale et Coloniale)

 

1906 : Marseille (Exposition Coloniale)

 

1914 : Boulogne-sur-Mer (Exposition Internationale des Industries de la Pêche)

 

1922 : Marseille (Exposition Nationale Coloniale)

 

1925 : Paris (Exposition Internationale des Arts Décoratifs et Industriels Modernes)
631 758 entrées à la
tour Eiffel cette année-là

 

1925 : Lyon (Foire Internationale)

 

1931 : Paris (Exposition Coloniale Internationale)
822 550 entrées à la
tour Eiffel cette année-là

 

1937 : Paris (Exposition Internationale des Arts et Techniques dans la Vie Moderne)
809 978 entrées à la
tour Eiffel cette année-là

 


[modifier]

Le rêve ancien d'une tour de grande hauteur: de Babel à Eiffel

Au début et au milieu du XIXe siècle, la course à la hauteur ne concerne pas les bâtiments civils, mais reste l’apanage des édifices religieux. Par exemple, en 1837, la cathédrale Notre-Dame de Rouen se voit coiffée d’une flèche en fonte de 40 mètres de hauteur, ce qui lui permettra de revendiquer le titre de plus haut bâtiment du monde de 1876 à 1880.

Les rapides progrès industriels, permettent cependant aux ingénieurs d’imaginer la transgression de ce qui est encore à l’époque un privilège du domaine sacré. Selon Eugène-Melchior de Vogüé, édifier une tour de grande hauteur est un rêve et un défi qui :

« remuait obscurément depuis quelques années dans le cerveau des ingénieurs ».

Richard Trevithick, expert britannique des machines à vapeur, propose dès 1833 un projet de colonne en fonte ajourée, haute de 1 000 pieds (≈300 mètres).

Agrandir

Richard Trevithick, expert britannique des machines à vapeur, propose dès 1833 un projet de colonne en fonte ajourée, haute de 1 000 pieds (≈300 mètres).

Or, la maîtrise de la technique du fer permettra d’envisager sérieusement cette possibilité de tour de grande hauteur.

Sans attendre les années 1880, où la tour Eiffel passera de l’état d’utopie à celui de réalité, l’anglais Richard Trevithick avait déjà envisagé un tel projet dès 1833. Il proposait alors de construire une colonne en fonte ajourée, haute de 1 000 pieds (304,80 mètres), mesurant 30 mètres à la base et 3,60 mètres au sommet. A cette fin, il cherchera même à lancer une souscription, mais il meurt deux mois après la présentation de son projet, qui de fait, ne verra jamais le jour. Bien qu’il soit difficile de savoir si son projet était techniquement viable et réalisable, il est le premier à imaginer qu’on puisse utiliser les capacités du métal pour édifier une tour élevée, ce en quoi, il est le précurseur indirect de la tour Eiffel, qui verra le jour 56 ans plus tard.

En 1853, James Bogardus, spécialiste américain des immeubles en fonte, imagine de surplomber le palais de l’Exposition qui se tient cette année-là à New York (Exhibition of the Industry of All Nations).

Mais le projet le plus réaliste et proche d’aboutir est celui des ingénieurs américains Clarke et Reeves qui imaginent, pour l’Exposition universelle de Philadelphie en 1876, une tour de 300 mètres. Ils présentent leur projet ambitieux dans ces termes :

 

La plus ancienne des vieilles nations forma des briques et fit du mortier, construisant une tour commémorative de son existence. Nous, la plus jeune des nations modernes, nous allons élever une tour, pour célébrer l’échéance du premier siècle de notre vie nationale. A côté de son prototype Babel, [...] notre gracieuse colonne en métal, qui élèvera son sommet à 1 000 pieds de haut, formera un contraste frappant et mettra en relief les progrès de la science et de l’art à travers les âges.

En réalité, il s’agit d’un pylône cylindrique de 9 mètres de diamètre maintenu par des haubans métalliques, ancrés sur une base circulaire de 45 mètres de diamètre. Faute de crédits, le projet ne verra jamais le jour, mais étant techniquement réalisable, ou tout du moins, réaliste, il sera publié en France dans la revue Nature.

C’est encore une fois d’Amérique que l’ingénieur Sébillot puisera l’idée d’une « tour-soleil » en fer qui éclairerait Paris. Pour ce faire, il s’associe avec l’architecte Jules Bourdais, celui qui fut à l’origine du palais du Trocadéro pour l’Exposition universelle de 1878. Ensembles, ils concevront un projet de « tour-phare » en granit, haute de 300 mètres. Il était prévu un soubassement sur lequel venait s’ajouter cinq étages entourés de galeries et une lanterne métallique, à l’image d’un phare géant. Mais il est fort probable que ce projet n’aurait jamais pu être réalisé, le granit ne supportant pas de forts vents et l’expérience montrant qu’un tel monument ne saurait être élevé à une telle hauteur s’il est uniquement en granit. L’exemple de l’obélisque de Washington le montre bien : commencé en 1848, il était prévu qu’il atteigne 180 mètres de hauteur, mais après 37 ans de travaux, il sera inauguré le 20 février 1885 avec 169 mètres seulement.

Pour que le rêve d’une tour de grande hauteur prenne forme, il faut prendre en compte, avant toute chose, la résistance des matériaux, avant même d’aborder l’aspect esthétique de l’édifice, ce que comprendront parfaitement Gustave Eiffel et son équipe d’ ingénieurs, grâce aux expériences passées des ateliers Eiffel.

La cathédrale Notre-Dame de Rouen, surplombée, en 1937, d'une flèche en fonte de 40 mètres de hauteur.

Gravure parue dans la magazine Harper's Weekly de l'Exposition universelle de Philadelphie de 1876 où, les ingénieurs Clarke et Reeves, avaient imaginés que puisse se dresser un pylône en fer de 1 000 pieds (≈300 mètres).

L'obélisque de Washington qui ne sera jamais élevé à la hauteur initialement prévue.

[modifier]

L'idée d'édifier une tour de 300 mètres quitte le domaine de l'utopie

[modifier]

Les premières esquisses de la future tour Eiffel

Maurice Koechlin (1856-1946), chef du bureau d’études d’Eiffel & Cie.

Agrandir

Maurice Koechlin (1856-1946), chef du bureau d’études d’Eiffel & Cie.

Émile Nouguier(1840-1898), chef du bureau des méthodes d'Eiffel & Cie.

Agrandir

Émile Nouguier(1840-1898), chef du bureau des méthodes d'Eiffel & Cie.

En 1884, l’idée d’une tour de grande hauteur est déjà dans les esprits des ingénieurs depuis des années. Maurice Koechlin, chef du bureau d’études d’Eiffel & Cie et Émile Nouguier, chef du bureau des méthodes, imaginent alors, eux aussi, une «tour très haute» qui pourrait être le clou de l’Exposition universelle de 1889 qui se profile. En ce sens, le 6 juin 1884, Maurice Koechlin dessine un tout premier croquis de ce qui sera plus tard la tour Eiffel. A cette date, le projet ressemble à un grand pylône formé de quatre piliers incurvés se rejoignant au sommet. Tous les 50 mètres, il est prévu qu’elles soient reliées par des planchers métalliques horizontaux, soit 5 étages en tout. La forme, un peu rude, est avant tout dictée par des soucis techniques et non esthétiques. La tour doit supporter, pense Koechlin, la pression du vent, estimée à 300 kilos par mètre carré au maximum. Cette volonté de prendre en compte la résistance des matériaux, sera la préoccupation majeure de Gustave Eiffel et de ses ingénieurs, comme il l’expliquera lui-même :

tout l’effort tranchant dû au vent passe ainsi dans l’intérieur des montants d’arête [...]. Les tangentes aux montants, menées en des points situés à la même hauteur, viennent toujours se rencontrer au point de passage de la résultante des actions que le vent exerce sur la partie de la pile au-dessus des deux points considérés.

Le pylône en fer de 300 mètres, dessiné par Maurice Koechlin le 6 juin 1884, qui préfigure ce que sera la tour Eiffel 5 ans plus tard.

Agrandir

Le pylône en fer de 300 mètres, dessiné par Maurice Koechlin le 6 juin 1884, qui préfigure ce que sera la tour Eiffel 5 ans plus tard.

L’esquisse de Koechlin est inspirée, pour les piliers notamment, des techniques déjà expérimentées avec succès lors de la construction de viaducs : celui de Crumlin en Allemagne, inauguré en 1853, qui est le premier du genre, auquel se succèderont les viaducs construits par Nordling, viaducs de la Sarine, de la Cère et du Busseau d’Ahun, mais surtout ceux de la Sioule dans les années 1860. Parmi les quatre ponts de la Sioule, deux furent en effet construit directement par Eiffel et ses ingénieurs, qui en outre, construiront aussi les viaducs de Garabit et celui sur le Douro au Portugal. Si auparavant, les piles des viaducs étaient faites de tubes en fonte boulonnées par tronçons, les deux derniers exemples cités de viaducs construits par Eiffel seront édifiés en poutres-caissons de section carrée en tôle de fer rivée. Or, cette technique permet de réaliser des piles dépassant 60 mètres. Pour la tour Eiffel, le défi est donc d’utiliser cette même technique, mais en réalisant une structure incurvée, et non plus droite.

Maurice Koechlin et Emile Nouguier présentent leur projet à Gustave Eiffel qui reste, dans un premier temps, dubitatif. Il a alors d’autres projets en route, et dit ne pas vouloir s’investir dans la réalisation de cette tour, mais il donne néanmoins le feu vert aux deux hommes pour pousser plus avant leurs études.

Ces derniers s’adjoignent donc les services de l’architecte en chef des projets Eiffel, Stephen Sauvestre, pour qu’il planche sur le sujet. Celui-ci redessine complètement les plans de la tour : il rajoute les socles en maçonnerie de l’édifice, le premier étage est décoré d’un arc monumental n’ayant aucun rôle structurel mais esthétique en figurant une sorte de porte d’entrée de l’Exposition universelle, il place aux étages des salles vitrées ouvertes au public, agrémente l’ensemble de la façade de sculptures variées et prévoit de couvrir le sommet d’une sorte de bulbe fait de verre. Le tout ressemble beaucoup au style Art Nouveau à venir. Même si le projet final sera moins décoré et ostentatoire, cette deuxième version signée Stephen Sauvestre est présentée à Gustave Eiffel, qui cette fois-ci, se dit intéressé.

En réalité, il est tellement enthousiasmé qu’il expose le projet au salon d’automne, en prenant soin auparavant de prendre un brevet (daté du 18 septembre 1884) aux noms d’Eiffel, Nouguier et Koechlin pour « une disposition nouvelle permettant de construire des piles et des pylônes métalliques d’une hauteur pouvant dépasser 300 mètres. ».

[modifier]

L'idée de la tenue d'une Exposition universelle à Paris en 1889 devient réalité

Décret signé par Jules Grévy, daté du 8 novembre 1884, instituant la tenue d'une Exposition universelle à Paris, du 5 mai au 31 octobre 1889.

Agrandir

Décret signé par Jules Grévy, daté du 8 novembre 1884, instituant la tenue d'une Exposition universelle à Paris, du 5 mai au 31 octobre 1889.

Le projet d’Exposition universelle se tenant en France imaginé au début des années 1880 progresse et le 8 novembre 1884, le président de la République française de l’époque, Jules Grévy, signe deux décrets instituant officiellement la tenue de l’Exposition à Paris, du 5 mai au 31 octobre. Le lieu précis de l’Exposition n’est alors pas clairement défini.

Dans le même temps, c’est à dire à la fin de l’année 1884, Gustave Eiffel rachète à Émile Nouguier et Maurice Koechlin les droits qu’ils possédaient sur le brevet de la future tour Eiffel, signé deux mois plus tôt. En contrepartie, il s’engage à citer les noms des deux ingénieurs, mais en définitive, même s’il n’a pas inventé et conceptualisée la tour, c’est bien sous le nom de tour Eiffel qu’elle sera connue. Lorsque fut posée la question à Maurice Koechlin de savoir si la tour n’aurait pas du en réalité porter son nom et s’il ne se sentait pas déposséder de son invention par l’homme d’affaires Eiffel, il répondait humblement en récusant l’idée que la tour puisse porter son nom et en prenant la défense de son employeur. Koechlin, ainsi que Nouguier, endosseront même la lourde responsabilité de superviser la construction de la tour qu’ils ont inventée, sans que leurs noms passe à la postérité et sans que le grand public sache leur paternité du projet. Pour cela, ils seront tout de même faits officiers de la légion d’honneur le jour de l’inauguration officielle de la tour, le 31 mars 1889 et par conséquent, leur travail sera donc, in fine, officiellement reconnu et récompensé.

[modifier]

L'édification de la tour Eiffel

[modifier]

La phase préparatoire au lancement du chantier

[modifier]

Gustave Eiffel se fait l'ardent défenseur de son projet d'une tour de 300 mètres

Projet de phare monumental imaginé par Jules Bourdais (maquette exposée au musée d'Orsay).

Agrandir

Projet de phare monumental imaginé par Jules Bourdais (maquette exposée au musée d'Orsay).

Une fois approprié le projet, Gustave Eiffel va s’employer à le faire connaître au plus grand nombre. Pour ce faire, il fait publier le schéma de la tour dans une des plus importantes revues techniques de l’époque, Le Génie civil, puis prononce des conférences dont une est donné à la Société des ingénieurs civils où, pour la première fois, il dévoile les principales données chiffrées de la tour :

- Un poids de 6 500 tonnes (elle en pèsera finalement 7 300)

- Un prix total estimé de 3 155 000 francs (elle coûtera en fait 2 fois et demie cette somme)

- Un délai de réalisation d’un an (en réalité, elle sera construite en vingt-six mois, dont quatre pour les fondations et vingt-deux pour la tour à proprement parler)

Tous les chiffres avancées ne se sont donc pas révélés exacts, mais c’est souvent le cas pour de grands travaux, et ce qui compte avant tout, c’est de donner une consistance au projet, le rendre palpable, réaliste.

Gustave Eiffel avance déjà l’argument selon lequel la tour pourra à l’avenir servir pour la réalisation d’expériences scientifiques : de météorologies, de physique, de télégraphie...argument qui, plus tard, se révélera déterminant pour la conservation de la tour Eiffel.

Pour finir, il essaiera de jouer sur la fibre patriotique, en évoquant le siècle des Lumières ou encore la Révolution française :

«La tour peu sembler digne de personnifier l'art de l'ingénieur moderne mais aussi le siècle de l'Industrie et de la Science dans lequel nous vivons, dont les voies ont été préparées par le grand mouvement scientifique de la fin du XVIIIe siècle et par la Révolution de 1789, à laquelle ce monument serait élevé comme témoignage de reconnaissance de la France.»

En outre, il s'efforcera de démontrer les failles techniques des projets de ses concurrents, J.-B. Laffiteau, Neve et Hennebique qui projettent une tour en brique et en bois, et surtout Jules Bourdais qui ambitionne de construire une tour en granit de 300 mètres. Bourdais sera son principal concurrent, car tout comme Eiffel, il est un ingénieur reconnu et réputé, qui fera lui aussi un grand usage de la publicité, notamment dans la presse, pour faire connaître son projet. Malgré tout, le projet d'une tour en pierre de Bourdais semble moins réaliste, ne semblant pas prendre en compte la résistance des matériaux, point pourtant crucial pour une tour d'une telle hauteur.

[modifier]

L'Exposition universelle est lancée et Édouard Lockroy se fait le parrain bienveillant du projet d'Eiffel

La réélection de Jules Grévy (1807-1891) à la présidence de la république le 28 décembre 1885 relance et entérine la tenue d'une Exposition universelle à Paris en 1889.

Agrandir

La réélection de Jules Grévy (1807-1891) à la présidence de la république le 28 décembre 1885 relance et entérine la tenue d'une Exposition universelle à Paris en 1889.

1886 est l'année où l'Exposition universelle et le projet d'une tour de 300 mètres prennent définitivement forme.

La réélection de Jules Grévy à la présidence de la République le 28 décembre 1885 entérine définitivement la tenue d’une Exposition universelle à Paris en 1889. Sous l’impulsion de Charles de Freycinet, pour la troisième fois président du Conseil, du 7 janvier au 3 décembre 1886, et par deux de ses ministres, Marie François Sadi Carnot, ministre des finances du 16 avril 1885 au 11 décembre 1886, et surtout d’Édouard Lockroy, ministre du Commerce du 7 janvier 1886 au 30 mai 1887.

Édouard Lockroy sera le parrain bienveillant du projet de la tour Eiffel et il le défendra envers et contre tous. Marié à Alice Lehaëne, veuve de Charles Hugo, second fils décédé prématurément de l'écrivain Victor Hugo, il fut lui-même un auteur dramatique renommé durant sa jeunesse de journaliste. Armé du sens de la formule, franc-maçon avéré, passé par les Beaux-Arts, il participera à quatre gouvernements comme ministre de l'Industrie et du Commerce (1886-1887), ministre de l'Instruction publique (1888-1889), ministre de la Marine (1895-1896 et 1898-1899) et enfin ministre de la guerre par intérim en 1898. Ministre atypique, il n'hésitera pas à contester le budget alloué à l'armée, alors qu'il était ministre de la guerre par intérim :

« On a consacré des millions à transformer la tunique des soldats en veste [...]. Nous aurions eu de quoi faire des lettrés de tous les français avec l'argent que nous avons dépensés en passepoils.»

N'hésitant pas à dépenser les fonds publics pour soutenir des causes ou des projets qui lui tiennent à cœur, il financera par exemple les expéditions de Jean-Baptiste Charcot entre 1903 et 1905. Ainsi, il est difficile de démêler dans ses actions ce qui relève des convictions sincères ou bien alors de sa soif de reconnaissance. Quoiqu'il en soit, il s'est avéré un allié puissant pour Gustave Eiffel, un relais permanent avec le Conseil et le président de la République.

Le 1er avril 1886, un projet de loi dote l'Exposition d'un budget de 43 millions de francs, dont 17 sont fournis par l'État français, 8 par la Ville de paris et le reste, soit 18 millions, par un emprunt à lots. Encore une fois, l'influence d'Édouard Lockroy se fera sentir, puisqu'il est nommé commissaire général de l'Exposition.

[modifier]

Le concours de mai 1886 autorise Gustave Eiffel à construire sa tour

Arrêté du 1er mai 1886 ouvrant un concours en vue de l'Exposition universelle de 1889: articles 1 à 5.

Arrêté du 1er mai 1886 ouvrant un concours en vue de l'Exposition universelle de 1889: articles 6 à 14.

Arrêté du 1er mai 1886 ouvrant un concours en vue de l'Exposition universelle de 1889: articles 15 à 17.

Le 1er mai 1886, le ministre du Commerce Édouard Lockroy signe un arrêté qui déclare ouvert « un concours en vue de L’Exposition universelle de 1889 ». L’article 9, qu’on dirait soufflé par Gustave Eiffel lui-même, dispose que :

Les concurrents devront étudier la possibilité d’élever sur le Champ-de-Mars une tour en fer à base carrée, de 125 mètres de côté à la base et de 300 mètres de hauteur. Ils feront figurer cette tour sur le plan du Champ-de-Mars [...]

Avec son projet, Gustave Eiffel arrive 3e du concours de mai 1886, mais le jury émet des réserves sur le système d'ascenseur, insuffisant dans le projet initial.

Agrandir

Avec son projet, Gustave Eiffel arrive 3e du concours de mai 1886, mais le jury émet des réserves sur le système d'ascenseur, insuffisant dans le projet initial.

Pour la première fois, le périmètre où se tiendra la future Exposition est délimité dans l’article 3 de l’arrêté : il s’agit du Champ-de-Mars.

La remise des projets est fixée au 18 mai, soit seulement 18 jours après. Malgré ce délai très court, 107 projets sont présentés, tous exposés à la fin du mois de mai 1886, à l’Hôtel de Ville de Paris.

Parmi les projets présentés, On peut citer celui de Marie-Joseph Cassien Bernard et Francis Nachon, très proche du projet d’Eiffel, à la différence que leur édifice enjambe la Seine ,et celui de Jules Bourdais, qui pour l’occasion revoie sa copie et troque le granit initialement prévu contre le fer. Pour le reste, de nombreux projets présentés semblent fantaisistes et peu réalistes d’un point de vue strictement technique.

Le 26 mai 1886 sont annoncés les résultats du concours. Gustave Eiffel arrive classé 3e et gagne la somme symbolique de 4 000 francs, mais surtout, cette victoire lui permet d’envisager réellement la construction de sa tour. Jean-Camille Formigé fera son palais des Arts Libéraux, Ferdinand Dutert se chargera de la galerie des machines, et Gustave Eiffel de sa tour. Néanmoins, le jury émet quelques réserves sur le dossier présenté, d’abord sur les protections contre la foudre, et ensuite et surtout, sur les ascenseurs Backmann qui étaient initialement prévus. Gustave Eiffel changera donc de fournisseurs en choisissant trois constructeurs différents : Roux-Combaluzier et Lepape (devenus Schindler), Otis et Léon Edoux (qui a fait ses études dans la même promotion que Gustave Eiffel). Au final, ces ascenseurs coûteront une partie non négligeable de la facture totale.

Exposition universelle de 1889 : le palais des machines construit par Ferdinand Dutert, 2e prix du concours de 1886.

Agrandir

Exposition universelle de 1889 : le palais des machines construit par Ferdinand Dutert, 2e prix du concours de 1886.

Exposition universelle de 1889 : les arches de la tour Eiffel, avec au fond, la fontaine monumentale de Jules Félix Coutin et Jean Camille Formigé, 1er prix du concours de 1886 (pour le palais des Arts Libéraux), et le dôme central de Joseph Antoine Bouvard.

Agrandir

Exposition universelle de 1889 : les arches de la tour Eiffel, avec au fond, la fontaine monumentale de Jules Félix Coutin et Jean Camille Formigé, 1er prix du concours de 1886 (pour le palais des Arts Libéraux), et le dôme central de Joseph Antoine Bouvard.

Repères :
Résultats du concours de mai 1886
en vue de l'Exposition universelle de 1889

 

(Plan général de l'Exposition universelle de 1889 publié par le "Guide Bleu du Figaro" et le "Petit Journal")

 

1ère série (récompense de 4 000 francs)

 

1er : Formigé

 

2e : Dutert

 

3e : Eiffel

 

2e série (récompense de 2 000 francs)

 

4e : De Perthes

 

5e : Cassien Bernard et Francis Nachon

 

6e : Raulin

 

3e série (récompense de 1 000 francs)

 

7e : Pierron

 

8e : Paulin

 

9e : Ballu

 

10e : Fouquiau

 

11e : Vaudoyer

 

12e : Hochereau et Girault

 


[modifier]

La convention du 8 janvier 1887 permet d'envisager le lancement du chantier

Le 8 janvier 1887, Gustave Eiffel signe (en son nom personnel et non celui de son entreprise) une convention avec d'une part, Édouard Lockroy, ministre du Commerce, et d'autre part, Eugène Poubelle, préfet de la Seine, agissant ici au nom de la Ville de Paris. Cette convention fixe, entres autres, les conditions relatives à l'emplacement géographique de la tour et les coûts estimés devant être engagés pour sa construction :

Emplacement :

Un fois le concours gagné, il convient encore de décider de l’emplacement exact de la tour qui doit être construite. Pendant un temps, il est envisagé de la placer en en point élevé, sur le mont Valérien, à l’ouest de Paris, ou bien sur la colline de Chaillot, voire encore, à cheval sur la Seine, comme Cassien Bernard et Nachon pensaient l’installer dans leur projet proposé au concours de mai 1886.

Mais il se trouve que la colline de Chaillot n’aurait pas permis d’installer des fondations solides, et le mont Valérien aurait placé la tour trop à l’écart du reste de l’Exposition.

Coût estimé :

En l'échange de la promesse de terminer les travaux de sa tour pour l'ouverture de l'Exposition universelle de 1889, Gustave Eiffel obtient une subvention de 1 500 000 francs de l'époque, sur un budget total estimé à 6 500 000 de francs, le reste étant financé par une société anonyme crée par Eiffel. Cette société est financée par moitié par les propres fonds de l'ingénieur et pour autre moitié, par un consortium de trois banques.

Au final, les dépenses totales seront supérieures de 1 500 000 de francs, mais seront intégralement couvertes par l'exploitation commerciale pendant l'Exposition universelle de 1889. Le prix de l'entrée est d'ailleurs défini dans l'article 7 de la convention, il est de :

- 5 francs la semaine et 2 francs les dimanches et fêtes pour l'ascension totale.

- 2 francs la semaine et 1 franc les dimanches et fêtes pour l'ascension partielle, jusqu'au 1er étage.

Enfin, l'article 11 précise qu'à partir du 1er janvier 1890, Gustave Eiffel pourra jouir librement de l'exploitation commerciale de sa tour pour une durée de vingt ans, après quoi, la Ville de Paris se substituera à l'État pour en devenir l'unique propriétaire.

Repères :
Coût estimé et réel de la tour Eiffel :

Côut estimé

 

En 1884

 

3 155 000 de francs

 

En 1887

 

6 500 000 de francs, dont :
1 500 000 de francs de subvention et 5 100 000 de francs venant d’une société anonyme crée par Gustave Eiffel, financée pour moitié par ses fonds propres, pour moitié par un consortium de 3 banques

 

Côut réel

 

En 1889

 

≈ 8 000 000 de francs

 


Convention du 8 janvier 1887 (page 1/7).

Convention du 8 janvier 1887 (page 2/7).

Convention du 8 janvier 1887 (page 3/7).

Convention du 8 janvier 1887 (page 4/7).

Convention du 8 janvier 1887 (page 5/7).

Convention du 8 janvier 1887 (page 6/7).

Convention du 8 janvier 1887 (page 7/7).

 

[modifier]

Études, dessins, ouvriers et méthodes utilisés pour la construction de la tour

Ouvrier plombier travaillant sur la tour Eiffel (lithographie d'Henri Rivière datée de 1902).

Agrandir

Ouvrier plombier travaillant sur la tour Eiffel (lithographie d'Henri Rivière datée de 1902).

Une fois la convention du 8 janvier 1887 signée, Gustave Eiffel peut se concentrer sur l'étude finale du projet et le lancement des travaux.

Pour ce faire, d'une part, l'ingénieur embauche 250 ouvriers pour travailler à la construction de la tour, maçons, équipes de riveteurs ("mousse", "teneur de tas", "riveur", "frappeur")..., et d'autre part, il fait dessiner les plans par ses équipes et presque toutes les pièces seront directement réalisées (calcul, traçage, découpage et perçage) aux ateliers d'Eiffel & Cie, à Levallois-Perret.

Les chiffres sont impressionnants :

Concernant les dessins préparatoires :

- 40 dessinateurs et calculateurs ont travaillé pendant deux ans sur les dessins industriels.

- La tour est un assemblage de 18 000 pièces.

- 700 dessins d'ensemble ont été réalisés par le bureau d'études.

- De son côté, l'atelier a fait 3 600 dessins.

Concernant les travaux à Levallois-Perret :

- 150 ouvriers sont affectés aux ateliers.

- Toutes les pièces sont préparées sur place, et quand les ouvriers du chantier s'aperçoivent d'un défaut, les pièces sont renvoyées à l'atelier où elles sont rectifiées.

- 2/3 des 2 500 000 rivets que possède la tour sont posés directement par les ouvriers de l'atelier.

Au final, les 250 ouvriers du chantier reçoivent, la plupart du temps, des pièces déjà préassemblées mesurant environ 5 mètres.

Avec ce modèle d'organisation, la construction de la tour Eiffel va se faire très vite, au regard de la taille du chantier : quatre mois pour les fondations et vingt-deux mois seulement pour l'édification de la structure métallique verticale.

[modifier]

Le lancement du chantier

[modifier]

Les fondations

13 avril 1887 : construction des fondations de la tour Eiffel : Fonçage des caissons de la pile n° 4 (le caisson est visible à droite de l'image).

Agrandir

13 avril 1887 : construction des fondations de la tour Eiffel : Fonçage des caissons de la pile n° 4 (le caisson est visible à droite de l'image).

Exécutées avec un soin particulier, les fondations de la tour Eiffel, commencées le 28 janvier 1887, seront faites en quatre mois seulement.

Chaque pilier a son propre massif de fondations en maçonnerie de 5 mètres sur 10 de côté. Avec ce système, le sol n'a à supporter que 3 à 4 kilos par centimètre carré, ce qui est peu, puisque par comparaison, cela représente la pression qu'exerce un individu moyen sur une chaise.

Côté Champ-de-Mars, les deux piles ont été établies sur des massifs en béton de 2 mètres de profondeur, reposants sur une couche de gravier située à 7 mètres en contrebas du sol.

Côté Seine, les fondations sous situées au-dessous du niveau du fleuve. Afin que les ouvriers puissent travailler dans ces conditions, quatre caissons métalliques étanches furent utilisés, où de l'air comprimé était injecté. Cette méthode avait déjà été testée et utilisée avec succès par les entreprises Eiffel lors de la construction du pont de Bordeaux en 1857.

Chacune des arêtes des quatre piles est soutenue par seize massifs de fondation. Dans cette appareil de maçonnerie qui a demandé 12 000 m2 de matériaux, d'énormes boulons d'ancrage de7,80 mètres de long fixent le sabot en fonte d'acier sur lequel repose chaque pilier. Cependant, ces boulons ne sont pas strictement nécessaires à la stabilité de l'édifice, dans la mesure où chaque arête reçoit, à sa base, une pression de 875 tonnes, en tenant compte des effets du vent.

Pour parachever le tout, est installé dans chacun des sabots, un vérin hydraulique de 9,5 centimètres de course, d'une force de 800 tonnes, actionné par une pompe à main mobile, prévu pour soulever chaque arête pour rattraper le jeu au moment de la jonction des quatre piles (c'est à dire au niveau du premier étage). Une fois que les ajustements nécessaires ont été faits, des cales en acier ont été posées entre les sabots et les arêtes, afin de fixer de manière définitive le nivellement de la tour Eiffel.

Enfin, un soubassement purement décoratif constitué de dalles en béton Coignet a été posé à la base de chaque pilier. Ainsi, les socles en pierre que l'on voit encore actuellement aux pieds de la tour n'ont aucune fonction technique, mais sont là uniquement pour la beauté de l'ensemble.

[modifier]

La construction de la structure métallique verticale de la tour

Détail de la structure «en dentelle» de la tour Eiffel.

Agrandir

Détail de la structure «en dentelle» de la tour Eiffel.

Détail de rivets visibles sur une structure métallique.

Agrandir

Détail de rivets visibles sur une structure métallique.

A partir du 1er juillet 1887, le montage de la partie métallique verticale commence. Les seize arêtes sont montées indépendamment les unes des autres et elles sont liaisonnées au fur et à mesure de leur progression par des poutrelles métalliques horizontales ou diagonales.

Dans un premier temps, les pièces sont levées grâce à des grues pivotantes fixées sur le chemin des ascenseurs, progressant au même rythme que l’élévation des piliers. Au delà de 30 mètres de hauteur, 12 échafaudages en bois sont construits et quand le chantier a dépassé les 45 mètres de hauteur, il a fallu édifier de nouveaux échafaudages, adaptés aux poutres de 70 tonnes qui furent utilisées pour le premier étage.

La jonction de ces énormes poutres avec les quatre arêtes , au niveau du premier étage, est le moment le plus crucial de tout le montage de la tour Eiffel. S’il se passe bien, l’assise sera solide et permettra d’édifier le reste de l’édifice.

Cette jonction est réalisée sans encombre le 7 décembre 1887. Pour que tout se passe bien, il était indispensable que tous les trous de rivets des pièces viennent coïncider au millimètre près, ce qui fut heureusement le cas.

Une fois ce cap passé, la construction de la tour Eiffel semblait bien lancée et rendait inutile les échafaudages construits temporairement, les plates-formes du premier étage, puis du second, servant ensuite de relais pour le levage des divers matériaux. Au delà du deuxième étage, seulement deux grues, qui suivent les montants verticaux des ascenseurs, sont utilisées.

Du bas du chantier, les curieux n’aperçoivent alors plus rien ou presque. Ainsi, pour satisfaire leur curiosité, le musée Grévin organise un diorama avec décors, pièces métalliques et ouvriers grandeur nature présentant les conditions de travail au-delà de 115 mètres de hauteur, c’est à dire au-delà du deuxième étage. Pour comprendre à quoi ressemblait alors le chantier, on peut aussi s’en référer aux écrits d’Émile Goudeau, journaliste, qui visita le chantier début 1889 :

« Une épaisse fumée de goudron et de houille prenait à la gorge, tandis qu’un bruit de ferraille rugissant sous le marteau nous assourdissait. On boulonnais encore par là ; des ouvriers, pinqués sur une assise de quelques centimètres, frappaient à tour de rôle de leur massue en fer sur les boulons ; on eût dit des forgerons tranquillement occupés à rythmer des mesures sur une enclume, dans quelque forge de village ; seulement ceux-ci ne tapaient point de haut en bas, verticalement, mais horizontalement, et comme à chaque coup des étincelles partaient en gerbe, ces hommes noirs, grandis par la perspective du plein ciel, avaient l’air de faucher des éclairs dans les nuées ».

 

18 juillet 1887: Commencement du montage métallique de la pile n°4.

7 décembre 1887: Montage de la partie inférieure sur les pylones en charpente.

20 mars 1888: Montage des poutres horizontales sur l'échafaudage du milieu.

15 mai 1888: Montage des piliers au-dessus du premier étage.

21 août 1888: Montage de la deuxième plate-forme.

26 décembre 1888: Montage de la partie supérieure.

15 mars 1889: Montage du campanile.

Fin mars/début avril 1889: Vue générale de l'ouvrage achevé.

[modifier]

Conditions sociales des ouvriers

Sur le chantier, les charpentiers sont les mieux payés, les autres ouvriers (principalement les équipes de riveteurs) sont mieux rémunérés que la moyenne de ce qui se pratiquait dans ce secteur à l’époque et un seul accident mortel sera à déplorer. Les conditions de travail ne semblent donc pas si mauvaises , Gustave Eiffel installant même, en partie à ses frais, une cantine au premier étage.

Pourtant, tout n’est pas si facile. Passée une certaine hauteur, la température est fraîche et le vent souffle fort. Et puis les ouvriers travaillent beaucoup : 9 heures en hiver et 12 l’été.

S’estimant insuffisamment payés au vu des risques pris, ils font grève une première fois en septembre 1888, quelques mois avant l’achèvement de la tour. Gustave Eiffel qui argue que le travail est certes dangereux, mais qu’œuvrer 200 ne change rien par rapport à la situation des ouvriers quand ils œuvraient à 50 mètres de hauteur : en cas de chute, aucun salut n’est possible. Il décide toutefois de leurs concéder une augmentation de salaire.

Trois mois plus tard, une nouvelle grève éclate, mais cette fois-ci, il tiendra tête et refusera toute négociation, sur quelque élément que ce soit.

[modifier]

Conditions de sécurité pour l’ascension des visiteurs

Escaliers :

Initialement sont installés, du rez-de-chaussée au premier étage, un escalier à paliers de 360 marches, du premier au deuxième étage, un escalier hélicoïdal sans paliers de 380 marches, et enfin, du deuxième au troisième étage, un escalier hélicoïdal sans paliers de 1 062 marches, trop dangereux pour être ouvert au public.

Ascenseurs :

Dessin technique d'ascenseur, daté du 15 janvier 1861, réalisé par Elisha Otis, fondateur d'Otis Elevator Company, société retenue par Gustave Eiffel pour construire les ascenseurs des piliers nord et sud, menant au deuxième étage de la tour Eiffel.

Agrandir

Dessin technique d'ascenseur, daté du 15 janvier 1861, réalisé par Elisha Otis, fondateur d'Otis Elevator Company, société retenue par Gustave Eiffel pour construire les ascenseurs des piliers nord et sud, menant au deuxième étage de la tour Eiffel.

La tour possède certaines spécificités qui n’ont alors jamais été rencontrées pour mettre en place des ascenseurs dans un édifice : à cause du dénivellement élevé, la course des ascenseurs est importante, et surtout, entre le rez-de-chaussée et le deuxième étage, la courbure de la structure métallique adopte une courbure variable.

Suite aux recommandations du jury du concours de mai 1886, Gustave Eiffel accorde le marché des ascenseurs à trois entreprises.

D’une part, l’entreprise française Roux, Combaluzier et Lepape (devenue Schindler), qui installe dans les piliers est et ouest des ascenseurs desservant le premier étage. Capables de transporter 200 personnes, ils sont plutôt lents bien que jugés sûr au point de vue de la sécurité et sont actionnés par une double chaîne sans fin marchant à la force hydraulique.

D’autre part, l’entreprise américaine Otis, qui installe dans les piliers nord et sud des ascenseurs d’une capacité de 100 personnes. Plus rapides que les précédents, ils sont jugés moins sûrs, mais permettent tout de même de desservir le deuxième étage dans de bonnes conditions pour l’époque. Ils sont constitués de cabines à deux étages, fonctionnent sur des glissières obliques et sont actionnées par un câble mu par un piston hydraulique dont la course est démultipliée par un jeu de poulies.

Enfin, Léon Edoux, qui installe un ascenseur vertical entre le deuxième et le troisième étage, constitué de deux cabines. La cabine inférieure sert de contrepoids et la cabine supérieure, qui transporte les passagers, est tirée par un piston hydraulique de 78 mètres de course.

Sources

  • La Tour de Monsieur Eiffel. Bertrand Lemoine. Paris : Gallimard, 1989. - 143 p. : ill.(Découvertes Architecture). ISBN 2-07-053083-3.
  • Pour les documents officiels (décret du 8 novembre 1884, arrêté du 1er mai 1886 et convention du 8 janvier 1887) :

http://cnum.cnam.fr/DET/8XAE349.10.html

  • Pour les photographies en noir et blanc des paragraphes "Les fondations" et "La construction de la structure métallique verticale de la tour" :

http://gallica.bnf.fr/anthologie/notices/01206.htm