Où on va papa ; la fin du livre ; 76-

 

76. Berätta om den vita duvan.

 

 

 

 

 

78. Le droit de vote. Thomas a le droit de voter. Qui va-t-il choisir ?

 

 

 

 

 

80. Dans ce chapitre Thomas parle avec Martine. Qui est Martine ? Expliquez ce qu’elle fait et ce qu’elle symbolise.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

81. Le coup de téléphone. Thomas et son père se parlent au téléphone. Comment est la conversation ? De quoi parlent-ils ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

82. Thomas ne va pas très bien. Qu’est-ce qui se passe ? Que font-ils à l’institut pour le calmer ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

83. Le père a retrouvé des faire-part de naissance. Expliquez ce qu’il dit dans ce chapitre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

84.Pourquoi le père n’aime-t-il pas les faire-part de naissance des autres ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

85. Expliquez ce chapitre à l’aide des mots suivants : berätta om detta kapitel med hjälp av följande ord :

 

fauteuil roulant

voûté

conversation

tire la langue aux éducateurs

mouvements de danse

excentricités

bêtises

indatables

jugé

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

86. Expliquez comment ça se passe à l’IMP

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

87. Il y a une manifestation sportive à l’IMP. Que fait Thomas ?

 

 

 

 

 

 

 

 

88. Que pensait le père des enfants quand il était jeune ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Expliquez cette phrase : Je n’ai pas eu de chance. J’ai joué à la loterie génétique, j’ai perdu.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

89. Comment se termine le livre ? Que dit-il à cette dernière page ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quel est votre avis personnel du livre? Expliquez et justifiez vos réponses !

 

68.

 

Dans un sketch inoubliable, Pierre Desproges se venge de ses jeunes enfants et des horreurs qu’ils lui offrent pour la fête des Mères et des Pères.

Moi, je n’ai pas eu à me venger. Je n’ai jamais rien eu. Pas de cadeau, pas de compliment, rien.

Ce jour-là, pourtant, j’aurais donné cher pour un pot de yaourt que Mathieu aurait transformé en vide-poches. Il l’aurait habillé avec de la feutrine mauve et il aurait collé dessus des étoiles qu’il aurait découpées lui-même dans du papier doré.

Ce jour-là, j’aurais donné cher pour avoir un compliment mal écrit par Thomas, où il aurait réussi à tracer, avec beaucoup de difficulté : « Je tème bocou. »

Ce jour-là, j’aurais donné cher pour un cendrier biscornu comme un topinambour, que Mathieu aurait fait avec de la pâte à modeler et sur lequel il aurait gravé « Papa ».

Comme ils ne sont pas comme les autres, ils auraient pu me faire des cadeaux pas comme les autres. Ce jour-là, j’aurais donné cher pour un caillou, une feuille séchée, une mouche verte, un marron, une bête à bon Dieu…

Comme ils ne sont pas comme les autres, ils auraient pu me faire des dessins pas comme les autres. Ce jour-là, j’aurais donné cher pour des animaux tordus comme des chameaux rigolos à la Dubuffet et des chevaux à la Picasso.

Ils n’ont rien fait.

Pas par mauvaise volonté, pas parce qu’ils n’ont pas voulu, je pense qu’ils auraient bien voulu, ils n’ont pas pu. À cause de leurs mains qui tremblent, de leurs yeux qui ne voient pas bien clair et de la paille qu’il y a dans leur tête.

 

69.

 

Cher papa,

 

À l’occasion de la fête des Pères, on voulait t’écrire une lettre. La voici.

On ne te félicite pas pour ce que tu as fait : regarde-nous. C’était si difficile de faire des enfants comme tout le monde ? Quand on sait le nombre d’enfants normaux qui naissent tous les jours et qu’on voit la tête de certains parents, on se dit que ça ne doit pas être bien sorcier.

On ne te demandait pas de faire des petits génies, seulement des normaux. Une fois encore, tu n’as pas voulu faire comme les autres, tu as gagné, et nous on a perdu. Tu crois que c’est marrant d’être handicapé ? On a quelques avantages. On a échappé à l’école, pas de devoirs, pas de leçons, pas d’examens, pas de punitions. En revanche, pas de récompenses, on a loupé pas mal de choses.

Peut-être que Mathieu aurait aimé faire du football. Tu le vois sur un terrain, tout fragile au milieu d’une bande de grosses brutes ? Il n’en serait pas sorti vivant.

Moi, j’aurais bien aimé être chercheur en biologie. Impossible avec la paille que j’ai dans la tête.

Tu crois que c’est marrant de passer sa vie avec des handicapés ? Il y en a des pas faciles, qui crient tout le temps et nous empêchent de dormir, et des méchants qui mordent.

Comme on n’est pas rancuniers et qu’on t’aime bien quand même, on te souhaite une bonne fête des Pères.

Tu trouveras derrière la lettre un dessin que j’ai fait pour toi. Mathieu, qui ne sait pas dessiner, t’embrasse.

 

70.

 

L’enfant pas comme les autres n’est pas une spécialité nationale, il existe en plusieurs versions.

Dans l’IMP où sont placés Thomas et Mathieu, il y a un enfant cambodgien. Ses parents ne parlent pas très bien le français, les entretiens avec le médecin chef de l’établissement sont difficiles, parfois épiques. Ils en sortent souvent dépités. Ils contestent toujours avec force le diagnostic du médecin.

Leur fils n’est pas mongolien, il est cambodgien.

 

 

 

71.

 

Il ne faut pas parler de génétique, c’est un mot qui porte malheur.

Ce n’est pas moi qui pense à la génétique, c’est la génétique qui a pensé à

moi.

Je regarde mes deux petits gamins cabossés, j’espère que ce n’est pas de ma faute s’ils ne sont pas comme les autres.

S’ils ne savent pas parler, s’ils ne savent pas écrire, s’ils ne savent pas compter jusqu’à 100, s’ils ne savent pas rouler à vélo, s’ils ne savent pas nager, s’ils ne savent pas jouer de piano, s’ils ne savent pas lacer leurs bottines, s’ils ne savent pas manger des bigorneaux, s’ils ne savent pas se servir d’un ordinateur, ce n’est quand même pas parce que je les ai mal élevés, ce n’est pas à cause de leur environnement…

Regardez-les. S’ils boitent, s’ils sont bossus, ce n’est pas de ma faute. C’est la faute à pas de chance.

Peut-être que « génétique », c’est le terme savant pour dire pas de chance ?

 

72.

 

Ma fille Marie a raconté à ses camarades d’école qu’elle avait deux frères handicapés. Elles n’ont pas voulu la croire. Elles lui ont dit que ce n’était pas vrai, qu’elle se vantait.

 

73.

 

On entend certaines mères, devant le berceau de leur enfant, dire : « On ne voudrait pas qu’il grandisse, on voudrait qu’il reste toujours comme ça. » Les mères d’enfants handicapés ont beaucoup de chance, elles joueront à la poupée plus longtemps.

Mais un jour, la poupée pèsera trente kilos et elle ne sera pas toujours docile. Les pères s’intéressent aux enfants quand ils sont plus grands, quand ils sont

curieux, quand ils commencent à poser des questions.

J’ai attendu vainement ce moment-là. Il n’y a jamais eu qu’une seule question : « Où on va, papa ? »

Le plus beau cadeau qu’on puisse faire à un enfant, c’est de répondre à sa curiosité, lui donner le goût des belles choses. Avec Mathieu et Thomas, je n’ai pas eu cette chance.

J’aurais bien aimé être instituteur, apprendre des choses aux enfants sans les ennuyer.

J’ai fait pour les enfants des dessins animés que les miens n’ont pas vus, des livres qu’ils n’ont pas lus.

J’aurais aimé qu’ils soient fiers de moi. Qu’ils disent à leurs camarades : « Mon père, il est mieux que le tien. »

Si les enfants ont besoin d’être fiers de leur père, peut-être que les pères, pour se rassurer, ont besoin de l’admiration de leurs enfants.

 

74.

 

À l’époque où il y avait une mire entre les programmes de la télévision, Mathieu et Thomas étaient capables de rester des heures devant l’écran à la regarder. Thomas aime bien la télévision, surtout depuis le jour où il m’a vu dans le poste. Lui qui ne voit pas bien, il a réussi, sur un petit écran, à me distinguer au milieu d’autres personnes. Il m’a reconnu, il a crié : « Papa ! »

Après l’émission, il n’a pas voulu aller dîner, il voulait rester devant le poste, il criait : « Papa, Papa ! » Il pensait que j’allais revenir.

Je me trompe peut-être quand je pense que je ne compte pas beaucoup pour lui et qu’il peut très bien vivre sans moi. Ça me touche, en même temps ça me culpabilise. Je me vois mal vivre avec lui, aller tous les jours à Carrefour voir les Snoopies.

Thomas va bientôt avoir quatorze ans. À son âge, je passais mon BEPC.

 

75.

 

Je regarde Thomas. J’ai de la peine à me reconnaître en lui, on ne se ressemble pas. C’est peut-être mieux. Je ne dirais pas pour lequel des deux. Qu’est-ce qui m’a pris de vouloir me reproduire ?

De l’orgueil ? J’étais tellement fier de moi que je voulais laisser sur la Terre des petits « moi » ?

Je ne voulais pas mourir entièrement, je voulais laisser des traces, pour qu’on puisse me suivre, à la trace ?

J’ai parfois l’impression d’avoir laissé des traces, mais de celles qu’on laisse après avoir marché sur un parquet ciré avec des chaussures pleines de terre et qu’on se fait engueuler.

Quand je regarde Thomas, quand je pense à Mathieu, je me demande si j’ai bien fait de les faire.

Faudrait le leur demander.

J’espère quand même que, mises bout à bout, toutes leurs petites joies, Snoopy, un bain tiède, la caresse d’un chat, un rayon de soleil, un ballon, une promenade à Carrefour, les sourires des autres, les petites voitures, les frites… auront rendu le séjour supportable.

 

76.

 

Je me souviens d’une colombe blanche. Elle était à l’atelier de l’IMP où les enfants faisaient des travaux manuels, c’est-à-dire que certains barbouillaient de peinture des feuilles de papier. Les autres étaient prostrés ou riaient aux anges.

Quand la colombe blanche vole dans la pièce, certains enfants émerveillés battent des mains. Elle laisse parfois tomber une petite plume qui descend en zigzaguant et qu’un enfant suit du regard. Il y a dans l’atelier une sorte de paix, peut-

être à cause de la colombe. Il arrive qu’elle se pose sur la table, ou mieux sur l’épaule d’un enfant. On pense à Picasso, à L’Enfant à la colombe. Certains en ont peur et

hurlent de terreur, mais la colombe est de bonne composition. Thomas la poursuit en l’appelant « tite poule », il voudrait l’attraper, peut-être pour la plumer ?

Le monde des animaux et des hommes a rarement été en telle harmonie. Entre cervelles d’oiseaux, le courant passe. Saint François d’Assise n’est pas loin, et Giotto, avec ses tableaux pleins d’oiseaux.

Les innocents ont les mains pleines. De peinture.

 

77.

 

Thomas a dix- huit ans, il a grandi, il a de la peine à se tenir debout, le corset ne suffit plus, il a besoin d’un tuteur. J’ai été choisi.

Un tuteur doit avoir les pieds profondément enfoncés dans la terre, il doit être solide, stable, capable de résister au vent, il doit rester droit au milieu des tempêtes.

Drôle d’idée de m’avoir choisi.

C’est moi maintenant qui ai la gestion de son argent, je dois signer les chèques. Thomas, il s’en fout de l’argent, il ne sait pas bien ce que c’est. Je me souviens d’un jour, au Portugal, dans un restaurant, il avait sorti de mon portefeuille tous les billets et les avait distribués à tout le monde. Je suis sûr que si je demandais à Thomas son avis, s’il pouvait me le donner, il me dirait : « Vas-y, papa, profites-en, on va s’amuser, on va aller claquer ensemble mes allocations d’invalidité. »

Il n’est pas radin. Avec son argent, on s’achètera un beau cabriolet. On partira comme deux vieux amis en goguette, faire la fête. Comme dans les films, on descendra sur la Côte, on ira dans les beaux hôtels avec plein de lustres, on dînera dans les grands restaurants, on boira du Champagne, on se racontera plein d’histoires, on parlera de voitures, de bouquins, de musique, de cinéma et de filles…

On se promènera la nuit au bord de la mer, sur des grandes plages désertes. On regardera les poissons phosphorescents laisser des traînées lumineuses dans l’eau noire. On philosophera sur la vie, sur la mort, sur Dieu. On regardera les étoiles et les lumières tremblantes de la côte. Parce qu’on n’aura pas les mêmes avis sur tout, on s’engueulera. Il me traitera de vieux con, moi je lui dirai : « Un peu de respect, s’il te plaît, je suis ton père », et il me répondra : « Tu n’as pas de quoi être fier. »

 

78.

 

Un enfant handicapé a le droit de vote.

Thomas est majeur, il va pouvoir voter. Je suis sûr qu’il a beaucoup réfléchi, pesé le pour et le contre, analysé méticuleusement les programmes des deux candidats, leur fiabilité économique, il a fait l’inventaire des états-majors de chaque parti.

Il hésite encore, il n’arrive pas à choisir. Snoopy ou Minou ?

79.

 

Après un silence, il a dit soudainement : « Et tes garçons ? »

Il ne doit même pas savoir qu’il y en a un qui n’est plus là depuis plusieurs années.

Sans doute que la conversation languissait, qu’il craignait qu’à nouveau un ange passe. Le repas était terminé, tout le monde avait parlé de son actualité, il fallait réactiver l’ambiance. Le maître de maison ajouta, avec l’air de celui qui en a une bien bonne à vous raconter : « Saviez-vous que Jean-Louis a deux enfants handicapés ? » L’information fut suivie d’un grand silence, puis d’une étrange rumeur faite de compassion, d’étonnement et de curiosité venant de ceux qui ne savaient pas. Une femme charmante se mit à me regarder avec le sourire triste et humide qu’on voit aux

femmes du peintre Greuze.

Oui, mon actualité à moi, ce sont mes enfants handicapés, mais je n’ai pas toujours envie d’en parler.

Ce que le maître de maison attend de moi, c’est de faire rire. Exercice périlleux, mais j’ai fait de mon mieux.

Je leur ai raconté le dernier Noël à l’IMP où étaient placés mes enfants. Le sapin que les enfants ont fait tomber, la chorale où chacun chantait une chanson différente, le sapin qui ensuite a pris feu, l’appareil de cinéma qui est tombé pendant la projection, le gâteau à la crème qu’on a renversé et les parents à quatre pattes sous les tables pour éviter les boules de pétanque qu’un père imprudent avait offertes à son fils qui les jetait en l’air, tout ça sur fond de « Il est né le divin enfant »…

Au début, ils étaient un peu gênés, ils n’osaient pas rire. Puis, petit à petit, ils ont osé. J’ai fait un beau succès. Le maître de maison était content.

Je crois que je serai réinvité.

 

80.

 

Thomas parle à sa main, il l’appelle Martine. Il a avec Martine de longues conversations, elle doit lui répondre, mais il est le seul à l’entendre.

Il prend une petite voix pour lui dire des choses gentilles. Quelquefois le ton monte entre eux, il n’a pas l’air content du tout, Martine a dû dire quelque chose qui ne lui a pas plu, il prend alors une grosse voix et il l’engueule.

Peut-être qu’il lui reproche de ne pas savoir faire grand-chose ?

Il faut reconnaître que Martine n’est pas très habile et qu’elle ne l’aide pas beaucoup dans la vie quotidienne pour s’habiller, pour manger. Elle n’est pas précise, elle renverse quand il boit, elle tâtonne, elle ne sait pas boutonner sa chemise, elle ne sait pas lacer ses souliers, souvent elle tremble…

Elle ne sait même pas caresser correctement le chat, ses caresses ressemblent à des coups et le chat, qui a peur, se sauve.

Elle ne sait pas jouer du piano, elle ne sait pas conduire une voiture, elle ne sait même pas écrire, elle est tout juste bonne à faire des dessins abstraits. Peut-être alors que Martine lui répond que ce n’est pas de sa faute, qu’elle attend les ordres. Ce n’est pas à elle de prendre les initiatives, c’est à lui.

Elle n’est qu’une main.

 

81.

 

«   Allô, bonjour Thomas, c’est papa à l’appareil. » Un grand silence.

J’entends une respiration difficile très forte, puis la voix de la monitrice :

«   Tu entends, Thomas ? C’est papa.

- Bonjour Thomas, tu me reconnais ? C’est papa, tu vas bien, Thomas ? » Silence. Seulement la respiration difficile… Enfin, Thomas se met à parler.

Depuis qu’il a mué, il a une grosse voix. « Où on va, papa ? »

Il m’a reconnu. On peut continuer la conversation.

«   Comment tu vas, Thomas ? - Où on va, papa ?

- Tu as fait des beaux dessins, pour papa, pour maman, pour Marie ta sœur ? » Silence. Seulement la respiration difficile.

«   On va à la maison ?

-  Tu fais des beaux dessins ?

-  Martine.

-  Elle va bien, Martine ?

-  Des fites des fites des fites !

-  Tu as mangé des frites, c’était bon ?… Tu veux manger des frites ? » Silence…

« Tu fais un baiser à papa ? Tu dis au revoir à papa ? Tu fais un baiser ? » Silence.

J’entends le combiné qui se balance dans le vide, des voix au loin. À nouveau

la monitrice à l’appareil, elle me signale que Thomas a lâché le combiné, il est parti. Je raccroche.

On s’était dit l’essentiel.

 

82.

 

Thomas ne va pas très bien. Il est nerveux malgré les calmants. Il a parfois des crises où il est très violent. Il faut quelquefois le faire interner à l’hôpital psychiatrique…

Nous allons le voir la semaine prochaine, déjeuner avec lui. Comme c’est bientôt Noël, j’ai proposé à l’éducatrice de lui apporter un cadeau, mais lequel ?

Elle m’a dit qu’ils écoutaient de la musique toute la journée. Toutes sortes de

musiques, même de la classique. Un pensionnaire qui a des parents musiciens écoute du Mozart et du Berlioz. J’ai pensé aux Variations Goldberg, une partition

écrite par J.-S. Bach pour calmer le comte de Keyserling qui était un monsieur très nerveux. À l’IMP, il y a certainement beaucoup de comtes de Keyserling qui ont besoin d’être calmés, J.-S. Bach ne peut que leur faire du bien. Je leur ai apporté le disque. L’éducatrice va tenter l’expérience.

Si un jour Bach pouvait remplacer Prozac…

 

83.

 

Trente ans plus tard, j’ai retrouvé au fond d’un tiroir les faire-part de naissance de Thomas et de Mathieu. C’étaient des faire-part classiques, nous aimions la simplicité, ni fleurs ni cigognes.

Le papier a jauni, mais on arrive très bien à lire, écrit en anglaises, que nous avons la joie de vous annoncer la naissance de Mathieu, puis de Thomas.

Bien sûr que ce fut une joie, un moment rare, une expérience unique, une émotion intense, un bonheur indicible…

La déception fut à la hauteur.

Nous avons la douleur de vous apprendre que Mathieu et Thomas sont handicapés, qu’ils ont de la paille dans la tête, qu’ils ne feront jamais d’études, qu’ils feront des bêtises toute leur vie, que Mathieu sera très malheureux et qu’il nous quittera rapidement. Le fragile Thomas restera plus longtemps, toujours plus voûté… Il parle toujours à sa main, il se déplace difficilement, il ne dessine plus, il est moins gai qu’avant, il ne demande plus où on va, papa.

Peut-être qu’il est bien là où il est.

Ou alors, il n’a plus envie d’aller nulle part…

 

84.

 

Chaque fois que je reçois un faire-part de naissance, je n’ai pas envie de répondre, ni de féliciter les heureux gagnants.

Bien sûr que je suis jaloux. Je suis surtout agacé après. Quand, quelques années plus tard, les parents béats et tout confits d’admiration me montrent les photos de leur adorable enfant. Ils citent ses derniers bons mots et parlent de ses performances. Je les trouve arrogants et vulgaires. Comme celui qui parlerait des performances de sa Porsche au propriétaire d’une vieille 2 CV.

« À quatre ans, il sait déjà lire et compter… »

On ne m’épargne pas, on me montre les photos de l’anniversaire, le petit chéri qui souffle les quatre bougies après les avoir comptées, le père qui filme avec le caméscope. J’ai alors des vilaines pensées dans la tête, je vois les bougies qui mettent le feu à la nappe, au rideau, à toute la maison.

Certainement que vos enfants sont les plus beaux du monde, les plus intelligents. Les miens, les plus moches et les plus bêtes. C’est de ma faute, je les ai loupés.

À quinze ans, Thomas et Mathieu ne savaient ni lire, ni écrire, et à peine parler.

 

85.

 

Il y avait longtemps que je n’étais pas allé voir Thomas. Je suis allé le voir hier. Il est de plus en plus souvent dans un fauteuil roulant. Il se déplace difficilement. Il m’a reconnu au bout d’un moment, il a demandé : « Où on va, papa ? »

Il est de plus en plus voûté. Il a voulu aller se promener dehors. Notre conversation est sommaire et répétitive. Il parle moins qu’avant, il parle toujours à sa main.

Il nous a emmenés dans sa chambre. Elle est claire et peinte en jaune, Snoopy est toujours sur le lit. Sur le mur, il y a une œuvre abstraite de ses débuts, sorte d’araignée emmêlée dans sa toile.

Il a changé de pavillon, il est dans une petite unité de douze pensionnaires, des adultes qui ressemblent à des vieux enfants. Ils n’ont pas d’âge, ils sont indatables. Ils ont dû naître un 30 février…

Le plus âgé fume la pipe et il tire la langue aux éducateurs. Il y a un aveugle qui se promène dans les couloirs en suivant à tâtons les murs. Certains nous disent bonjour, la majorité nous ignore. Quelquefois, on entend un cri, puis le silence, seul le bruit des pantoufles de l’aveugle.

On doit enjamber quelques pensionnaires allongés par terre, au milieu de la pièce, les yeux au ciel ; ils rêvent, parfois ils rient aux anges.

Ce n’est pas triste, c’est étrange, parfois beau. Les gestes lents de certains qui brassent l’air s’apparentent à une chorégraphie, à des mouvements de danse moderne ou de théâtre Kabuki. Un autre, qui fait avec ses bras des contorsions devant son visage, fait penser aux autoportraits d’Egon Schiele.

À une table, sont assis deux malvoyants qui se caressent les mains. À une autre, un pensionnaire, le crâne dégarni, les cheveux gris ; on l’imaginerait en costume trois-pièces gris, il a l’air d’un notaire, sauf qu’il a un bavoir et répète sans arrêt : « Caca, caca, caca… »

Tout est permis, toutes les excentricités, toutes les folies, on n’est pas jugé.

Ici, quand on est sérieux et qu’on se comporte normalement, on est presque gêné, on a le sentiment de ne pas être comme les autres et d’être un peu ridicule.

Quand je vais là-bas, j’ai envie de faire comme eux, des bêtises.

 

86.

 

À l’IMP, tout est difficile, quelquefois impossible. S’habiller, lacer ses chaussures, fermer une ceinture, ouvrir une fermeture Éclair, tenir une fourchette.

Je regarde un vieil enfant de vingt ans. Son éducateur essaye de lui faire manger tout seul des petits pois. Je me rends compte de la performance que représentent les moindres gestes de sa vie quotidienne.

Il y a quelquefois des petites victoires qui valent une médaille d’or aux Jeux olympiques. Il vient d’attraper plusieurs petits pois avec la fourchette et les a portés à la bouche sans faire tout tomber. Il est très fier, il nous regarde, rayonnant. On jouerait bien l’hymne national en son honneur et en l’honneur de son entraîneur.

 

87.

 

La semaine prochaine a lieu à l’institut médico-pédagogique une grande manifestation sportive, les XIIIe jeux intercentres, destinés aux pensionnaires les moins atteints. Il y a plusieurs disciplines : boules sur cible, parcours tricycle, basket, lancer de précision, parcours moteur et tirs au but. Je ne peux pas m’empêcher de penser au dessin de Reiser représentant les Jeux olympiques pour handicapés. Le stade est couvert de grands calicots avec, inscrit dessus : « Interdit de rire. »

Évidemment, Thomas ne participe pas. Il va être spectateur. On va le sortir et installer son fauteuil devant le terrain de sport pour regarder le spectacle. Ça m’étonnerait que ça l’intéresse, il est de plus en plus enfermé dans son monde intérieur. À quoi pense-t-il ?

Est-ce qu’il sait ce qu’il a représenté pour moi, il y a plus de trente ans, le lumineux petit angelot blond qui riait toujours ? Maintenant il ressemble à une gargouille, il bave et il ne rit plus.

À l’issue de la manifestation, il y a le classement avec la remise des médailles et des coupes.

J’aurais bien aimé avoir des enfants dont je sois fier. Pouvoir montrer à mes amis vos diplômes, vos prix et toutes les coupes que vous auriez gagnées sur les stades. On les aurait exposées dans une vitrine dans le salon avec des photos où on nous aurait vus ensemble.

J’aurais, sur la photo, la mine béate et satisfaite du pêcheur qui s’est fait photographier avec le poisson énorme qu’il vient d’attraper.

 

88.

 

Quand j’étais jeune, je souhaitais avoir plus tard une ribambelle d’enfants. Je me voyais gravir des montagnes en chantant, traverser des océans avec des petits matelots qui me ressembleraient, parcourir le monde suivi par une joyeuse tribu d’enfants curieux au regard vif, à qui j’apprendrais plein de choses, le nom des arbres, des oiseaux et des étoiles.

Des enfants à qui j’apprendrais à jouer au basket et au volley-ball, avec qui je ferais des matchs que je ne gagnerais pas toujours.

Des enfants à qui je montrerais des tableaux et ferais écouter de la musique. Des enfants à qui j’apprendrais en secret des gros mots.

Des enfants à qui j’enseignerais la conjugaison du verbe péter.

Des enfants à qui j’expliquerais le fonctionnement du moteur à explosion. Des enfants pour qui j’inventerais des histoires rigolotes.

Je n’ai pas eu de chance. J’ai joué à la loterie génétique, j’ai perdu.

 

89.

 

« Ils ont quel âge, maintenant, vos enfants ? » Qu’est-ce que ça peut bien vous foutre.

Mes enfants sont indatables. Mathieu est hors d’âge et Thomas doit avoir dans les cent ans.

Ce sont deux petits vieillards voûtés. Ils n’ont plus toute leur tête, mais ils sont toujours gentils et affectueux.

Mes enfants n’ont jamais connu leur âge. Thomas continue à mâchouiller un vieux nounours, il ne sait pas qu’il est vieux, personne ne le lui a dit.

Quand ils étaient petits, il fallait changer leurs chaussures, prendre chaque année une pointure supérieure. Seuls leurs pieds ont grandi, leur QI n’a pas suivi. Avec le temps, il aurait plutôt eu tendance à diminuer. Ils ont fait des progrès à l’envers.

Quand on a eu toute sa vie des enfants qui jouent avec des cubes et qui ont un nounours, on reste toujours jeune. On ne sait plus très bien où on en est.

Je ne sais plus bien qui je suis, je ne sais plus très bien où j’en suis, je ne sais plus mon âge. Je crois toujours avoir trente ans et je me moque de tout. J’ai l’impression d’être embarqué dans une grande farce, je ne suis pas sérieux, je ne prends rien au sérieux. Je continue à dire des bêtises et à en écrire. Ma route se termine en impasse, ma vie finit en cul-de-sac.

 

 

 

 

Fin